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« Dernière ouvraison ou transformation substantielle » : quelles opérations sur des grumes de bois pour conférer une origine non préférentielle ?

Affaires - Transport
11/09/2024
La notion de « dernière ouvraison ou transformation substantielle » de l’article 24 de l’ex-Code des douanes communautaire (CDC), qui confère l’origine non préférentielle (ONP) à une marchandise, est précisée pour des grumes de teck ébranchées, écorcées, équarries ou découpées en bois de teck scié à Taïwan à propos d’un règlement fixant les restrictions à l’importation dans l’UE de produits originaires de Birmanie (du Myanmar), dans un arrêt du 5 septembre 2024 de la CJUE. Cette décision est aussi l’occasion d’un rappel sur les certificats d’origine et les méthodes d’interprétation du droit de l’UE.
Un opérateur est poursuivi et condamné en Allemagne notamment pour avoir importé du bois originaire de Birmanie (du Myanmar), alors que le règlement n° 194/2008 l’interdit au titre des restrictions à l’importation. Il conteste en avançant que la marchandise a connu à Taiwan, via son fournisseur, des transformations ou ouvraisons substantielles au sens de l’article 24 de l’ex-Code des douanes communautaire (CDC) qui lui ont conféré une origine taiwanaise. Une juridiction allemande interroge la CJUE pour savoir si la disposition du règlement précité prohibant l’importation de ces bois originaires de la Birmanie/du Myanmar, lue en combinaison avec l’article 24 de l’ex-CDC, doit être interprétée en ce sens que l’ébranchage, l’écorçage, l’équarrissage ou la transformation en bois scié de grumes de teck constituent des transformations ou ouvraisons déterminant l’origine des marchandises obtenues à la suite de telles opérations.
 
Textes applicables (pour mémoire)
 
L’article du règlement n° 194/2008 précité renvoie pour la définition de l’origine à l’ex-CDC dont l’article 24 précité prévoit alors qu’« une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays, est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important. »
 
Remarques
L’article 60 du Code des douanes de l’Union reprenant la rédaction ci-dessus de l’article 24, les solutions exposées ci-après valent sous l’empire de ce CDU.
 
Interprétations de l’article 24 de l’ex-CDC
 
La CJUE rappelle sa jurisprudence sur l’article 24 de l’ex-CDC avant de l’appliquer aux opérations qu’a connu le bois en l’espèce.
 
Selon cet article-ci, « lorsque deux ou plusieurs pays interviennent dans la production d’une marchandise, le critère déterminant pour déterminer l’origine de cette dernière est celui de la dernière transformation ou ouvraison substantielle de cette marchandise » (CJUE, 20 mai 2021, n° C‑209/20, Renesola UK Ltd c/ The Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs, point 38 ; sur cet arrêt, voir « Dernière transformation ou ouvraison substantielle » : contrôle du juge sur l’ONP, Actualités du droit, 21 mai 2021).
 
De plus, la détermination de l’origine doit « se fonder sur une distinction objective et réelle entre produit de base et produit transformé, tenant essentiellement aux qualités matérielles spécifiques de chacun de ces produits » (CJUE, 11 févr. 2010, n° C‑373/08, Hoesch Metals and Alloys GmbH c/ Hauptzollamt Aachen, point 45).
 
L’expression « dernière transformation ou ouvraison substantielle » renvoie « à l’étape du processus de production au cours de laquelle les marchandises concernées acquièrent leur destination ainsi que des propriétés et une composition spécifiques, qu’elles ne possédaient pas auparavant et qui ne sont pas appelées à subir ultérieurement des modifications qualitatives importantes » (CJUE, 20 mai 2021, n° C‑209/20, Renesola UK Ltd c/ The Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs, point 38).
 
Ainsi, poursuit la CJUE, « des opérations affectant la présentation d’un produit aux fins de son utilisation, mais n’entraînant pas une modification qualitative importante de ses propriétés, ne sont pas susceptibles de déterminer l’origine de ce produit » (CJUE, 11 févr. 2010, n° C‑373/08, Hoesch Metals and Alloys GmbH c/ Hauptzollamt Aachen, point 46).
 
Enfin, la Cour en déduit que « les opérations de transformation d’un produit qui n’entraînent pas une modification substantielle des propriétés et de la composition de celui-ci, parce qu’elles consistent seulement en une répartition et en une modification de sa présentation, ne constituent pas une modification qualitative suffisamment caractérisée pouvant être regardée soit comme ayant entraîné la fabrication d’un produit nouveau, soit comme constituant un stade de fabrication important dudit produit » (CJUE, 11 févr. 2010, n° C‑373/08, Hoesch Metals and Alloys GmbH c/ Hauptzollamt Aachen, point 47).
 
Ébranchage et écorçage des grumes : pas d’ouvraison substantielle
 
Selon la Cour, le premier type d’ouvraison, c’est-à-dire l’ébranchage et l’écorçage des grumes de teck en cause, ne confère pas à ces grumes « leur destination ainsi que des propriétés et une composition spécifiques, qu’elles ne possédaient pas auparavant et qui ne sont pas appelées à subir ultérieurement des modifications qualitatives importantes ». La CJUE ajoute que, « au contraire, ce type d’ouvraison semble être, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, une opération d’ouvraison simple, qui n’affecte que la présentation du bois », une telle opération ne pouvant ni entraîner la fabrication d’un produit nouveau, ni constituer un stade de fabrication important des marchandises en cause (conformément à l’arrêt Hoesch Metals, point 47 ci-dessus) : cette ouvraison ne peut donc pas déterminer l’origine de celles-ci (point 53).
 
Équarrissage des grumes précédemment ébranchées et écorcées : pas d’ouvraison substantielle
 
Le deuxième type d’ouvraison, l’équarrissage des grumes de teck en cause, précédemment ébranchées et écorcées, c’est-à-dire « leur découpage en forme de parallélépipèdes rectangles, ne confère pas à ces grumes leur destination ainsi que des propriétés et une composition spécifiques, qu’elles ne possédaient pas auparavant et qui ne seraient pas appelées à subir ultérieurement des modifications qualitatives importantes », selon la CJUE (au sens de l’arrêt Renesola UK Ltd, point 38, précité). Là encore, au contraire, cette ouvraison constitue « une étape intermédiaire indispensable pour la production de bois scié » et n’est donc pas déterminante pour désigner l’origine desdites grumes (point 54).
 
Trois arguments écartés
Pour qualifier l’équarrissage d’ouvraison substantielle, l’opérateur avance aussi les arguments ci-dessous que la CJUE ne retient pas :
  • d’abord, il s’appuie sur une jurisprudence de la Cour s’agissant d’un critère de valeur ajoutée, mais la CJUE l’écarte au motif qu’est en cause dans la décision citée d’une opération d’assemblage de divers éléments et non de découpage d’un produit de base comme en l’espèce ;
  • ensuite, l’opérateur invoque l’annexe 22-03 du CDU, AD, à laquelle correspondait l’annexe 13 bis de l’ex-CDC, RA, celles-ci étant là aussi écartées par la CJUE puisque portant sur l’origine préférentielle (OP) et non sur l’origine non préférentielle (ONP) ;
  • enfin, l’importateur met en avant le fait que la réalisation de grumes de teck équarries nécessite des équipements de sciage spéciaux et ne peut être effectuée que par des professionnels spécialement formés, argument non retenu par la CJUE, puisque, selon les termes mêmes de l’article 24 de l’ex-CDC, « la réalisation d’une ouvraison dans une entreprise équipée à cet effet ne suffit pas à lui conférer un caractère substantiel » (point 61).
 
Découpe de grumes en bois scié : transformation substantielle
 
Le troisième type d’ouvraison, c’est-à-dire la découpe de grumes de teck en bois scié, « ne constitue pas une opération simple de découpage, dès lors qu’elle comporte plusieurs étapes, les grumes concernées devant avoir été ébranchées, écorcées et équarries avant d’être découpées en planches », selon la Cour. Celle-ci ajoute que « les biens issus de ce type d’ouvraison se trouvent à un stade avancé du processus de fabrication de biens destinés, comme en l’occurrence, à la construction navale » : en effet, cette transformation en bois scié peut être « considérée comme constituant l’étape du processus de production au cours de laquelle les marchandises concernées acquièrent leur destination ainsi que des propriétés et une composition spécifiques, qu’elles ne possédaient pas auparavant et qui ne sont pas appelées à subir ultérieurement des modifications qualitatives importantes » (au sens de l’arrêt Renesola UK Ltd, point 38, précité).
 
La Cour confirme son constat par le fait que « les grumes de teck et les grumes de teck équarries sont classées sous la position 4403 de la NC, en tant que bois bruts, tandis que le bois de teck scié est classé à un stade d’ouvraison plus avancé, sous la position 4407 de la NC » : elle rappelle en effet que « le changement de position tarifaire d’une marchandise, causé par l’opération de transformation de celle-ci, constitue une indication du caractère substantiel de sa transformation ou de son ouvraison » (CJUE, 21 sept. 2023, n° C‑210/22, Stappert Deutschland GmbH c/ Hauptzollamt Hannover, point 58).
 
Par conséquent, le type d’ouvraison ci-dessus peut être considéré comme une ouvraison conférant à ces grumes l’origine de Taïwan, en application de l’article 24 de l’ex-CDC.
 
Certificat d’origine pour l’ONP et contrôle a posteriori
 
Toujours à propos de l’article 2 du règlement no 194/2008 en ce qu’il interdit l’importation de produits originaires de Birmanie, lorsque les Douanes des États membres examinent si cette disposition a été enfreinte, sont-elles liées par des certificats d’origine émis par un pays tiers (ici Taiwan) indiquant que les biens concernés en sont originaires ? Cet article 2 disposant seulement que l’origine des marchandises doit être déterminée conformément aux dispositions applicables de l’ex-CDC, il faut se référer à l’article 26 dudit Code : selon cet article 26, si la réglementation de l’Union prévoit que l’origine des marchandises doit être justifiée par la production d’un document, la production de celui-ci ne fait pas obstacle à ce que, en cas de doute sérieux, les Douanes exigent toutes justifications complémentaires en vue de s’assurer que l’indication d’origine soit bien conforme aux règles établies par la réglementation de l’Union en la matière. La CJUE rappelle que la finalité du contrôle a posteriori est de vérifier l’exactitude de l’origine indiquée dans le certificat d’origine et qu’il en résulte que le fait que des marchandises sont accompagnées de certificats d’origine ne s’oppose pas au recouvrement des droits à l’importation si, postérieurement à cette importation, ces certificats se sont révélés être inexacts (CJUE, 30 juin 2016, n° C‑416/15, Selena România SRL c/ Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice (DGRFP) București, points 36 et 37). La Cour déduit de sa jurisprudence relative à l’article 26 de l’ex-CDC que, « même lorsqu’il existe une obligation de production d’un document, tel qu’un certificat d’origine, pour justifier l’origine des biens concernés », la Douane n’est pas liée par ce document et il « en va d’autant plus ainsi lorsqu’une telle obligation n’existe pas », la Douane n’étant donc pas tenus par des certificats d’origine émis par un pays tiers (Taiwan en l’espèce) indiquant que les biens concernés en sont originaires (points 76 et s.). Notons que cette solution serait valable sous l’empire du Code des douanes de l’Union (CDU, art. 60 et CDU, AE, art. 57 et s.).
 
Méthodes d’interprétation du droit de l’Union (rappel)
 
À propos de l’article 2 du règlement n° 194/2008 qui, en plus d’interdire l’importation de produits originaires de Birmanie, prohibe aussi l’importation de produits « exportés de la Birmanie/du Myanmar », la CJUE rappelle classiquement ses méthodes d’interprétation (tenant compte « non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ») pour en conclure en l’espèce que cette mention doit être interprétée en ce sens que seuls relèvent de cette disposition des biens qui ont été importés dans l’Union directement de la Birmanie/du Myanmar (points 69 et s.).