Santé des dirigeants de PME : « son entreprise par-dessus tout »
Affaires - Transport
13/10/2023
Si le fait de diriger une PME est plutôt bon pour la santé, le risque suicidaire est réel, pour ce type de patron, en cas de liquidation au tribunal de commerce. L’universitaire Olivier Torrès, président fondateur de l’Observatoire Amarok à Montpellier qui ausculte la santé des dirigeants de TPE et PME, rappelle qu’il n’y a pas de bon stress.
Bulletin des transports : Vous étudiez la santé des entrepreneurs dans tous les secteurs. Quels sont les enseignements de vos travaux ? Olivier Torrès : En 2023, tous secteurs économiques confondus, 6 % des dirigeants de PME sont en risque d’épuisement professionnel. Ce chiffre est relativement stable et renvoie à mon sens à l’idée de l’existentialisme. Les entrepreneurs ont un rapport existentiel à leur travail, ils sont des fondateurs d’existence. Le créateur d’entreprise assume, par définition, les conséquences de ses actes. Comme le dit Sartre, « l’existence précède l’essence ».
BTL : Avez-vous identifié des chiffres clés et des invariants ? O. T. : Il n’existe pas à ce jour de chiffres officiels sur la santé des chefs d’entreprises dans le TRM. Seule certitude, les patrons de PME travaillent en moyenne 52 heures par semaine, à comparer aux 36,2 heures en moyenne pour les salariés français ; 62 % des entrepreneurs travaillent le week-end contre 27 % pour les salariés. Outre l’investissement dans le travail, il faut aussi prendre en compte l’investissement patrimonial (de l’ordre de 60 000 € en moyenne). Le phénomène de propriété juridique, auquel s’ajoute l’appropriation psychologique, forment chez le dirigeant un rapport au travail existentiel. Lorsque je donne une conférence, je prends de facto le contrôle de l’écoute de l’auditoire en prononçant la phrase : « Je n’ai pas le temps d’être malade ». C’était valable pour le discours de clôture du Congrès de la FNTR devant 400 dirigeants comme pour une conférence devant une quarantaine de membres de la FNTV.
BTL : Comment faites-vous pour sonder les dirigeants en temps réel ? O. T. : J’observe ce qui se passe, si les personnes hochent la tête, c’est gagné. Les hochements sont plus nombreux si j’ajoute « je n’ai pas le droit d’être malade ». Lorsque je mentionne « je tombe malade uniquement lorsque je suis en vacances », j’ai droit à un plébiscite. Je cite souvent l’exemple de ce dirigeant du BTP qui m’a dit un jour : « du coup, je ne prends plus de vacances ».
Le rapport existentiel au travail engendre ce que j’appelle un phénomène de subordination. C’est son travail d’abord et avant tout, et son entreprise par-dessus tout. L’entreprise s’apparente à un Dieu transcendantal ; le mot création est d’ailleurs connoté religieusement. On devrait dire constructeur d’entreprises et non pas créateur.
BTL : Pourquoi le sujet de la santé des dirigeants de PME est-il encore tabou ? O. T. : Le dirigeant n’a pas le temps d’être malade et il va moins dormir pour travailler plus. Cela explique pourquoi le congé maternité chez les femmes chefs d’entreprises est atrophié. Certaines, au lendemain de leur accouchement, se font livrer leur ordinateur pour continuer à travailler. Cela explique aussi leur manie pour dire qu’il y a un bon stress pour la performance alors qu’il n’y a pas de bon stress pour la santé. Le dirigeant va penser à sa performance mais pas à sa santé.
BTL : Vos travaux s’appuient sur la salutogenèse. Quel est l’intérêt majeur de cette notion développée par Aaron Antonovsky ? O. T. : La salutogenèse (1) nous indique que le chef d’entreprise est porté par le fait de diriger l’entreprise. C’est un état émotionnel particulier. L’entrepreneuriat est même plutôt bon pour la santé. En tendance, les dirigeants d’entreprise n’ont pas plus d’infarctus que les salariés. La salutogenèse, développée par le sociologue médical Aaron Antonovsky, comprend la santé non seulement comme un état normal, défini par l’absence de maladie, mais aussi comme un processus d’interaction dynamique entre les facteurs de stress et les ressources. Un individu n’est donc pas malade ou en bonne santé mais selon sa situation de vie, se trouve plus proche d’un des deux pôles. Je mentionnerai un seul bémol : les entrepreneurs ont des hauts très hauts et des bas très bas, d’où la question de la souffrance patronale.
BTL : Au fond, le pilotage d’une entreprise n’est pas exempt de risques comme le stress, le burn-out et la dépression ? O. T. : La souffrance patronale est intime ; elle est inhérente à la solitude du dirigeant. Les entrepreneurs ont une forme de fierté ; c’est l’émotion positive que j’ai le plus observé dans mes recherches. En cas d’échec, quand le monde créé par le dirigeant s’effondre, c’est la fin de tout. Cela conforte l’hypothèse existentialiste avec un risque suicidaire lorsque le chef d’entreprise se retrouve au tribunal de commerce. Ce n’est pas systématique mais ce risque existe car l’entreprise est le fruit d’une vie et, parfois, le fruit d’une famille sur plusieurs générations. Au reste, en cas de transmission familiale, le dirigeant est encore en souffrance. Mon collègue Eric Fromenty (2) a étudié dans ses travaux de recherche la théorie du deuil pour expliquer les transmissions familiales des PME. Tout est dit.
(1) Le modèle de santé de la salutogenèse (du latin, salus « santé » et genesis « origine ») s’intéresse au développement de la santé et des processus sous-jacents. C’est une approche axée sur les ressources qui se concentrent sur le renforcement d’un environnement favorable à la santé et des ressources individuelles afin de prévenir les maladies et promouvoir la santé. (2) Éric Fromenty : « Transmission de PME : la salutogenèse cessioneuriale ».
Propos recueillis par Louis Guarino
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