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Avenir de la liaison ferroviaire Lyon-Turin : « modernisons d’abord nos infrastructures », conseille le député Bernard Pancher

Affaires - Transport
17/07/2023
Le projet ferroviaire du Lyon-Turin s’enfonce dans les méandres politiques et financiers. Les écologistes déplorent les nuisances et les atteintes à la biodiversité quand l’exécutif joue sur les effets d’annonce pour financer notamment les accès français (150 km) évalués à 12 Md€. Pour le député Bertrand Pancher, qui préside le groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), la priorité n’est pas à ce projet pharaonique de 30 Md€ mais à la régénération du réseau ferroviaire français.
Bulletin des transports : Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin s’enlise. C'est pour des raisons politiques et financières ?
Bertrand Pancher : Nous sommes confrontés à des besoins de financement énormes pour nos infrastructures ferroviaires. Élisabeth Borne a annoncé en février un plan de 100 Md€ pour les infrastructures de transport à l’horizon 2030. Seul bémol, l’État ne répond pas sur les montants de ses engagements ; l’exécutif fait confiance aux cofinancements de l’Union européenne et des collectivités territoriales. Le ministre délégué aux Transports a annoncé être prêt à débloquer 3 Md€ de crédits pour les voies d’accès côté français. Or, leur coût est estimé à 12 Md€, dont la moitié à la charge de l’Union européenne, le solde se répartissant entre les collectivités locales, dont la région Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) présidée par Laurent Wauquiez (1).
Nous perdons énormément de temps. Le transport de fret souffre en raison de l’état du réseau ferroviaire. La question du financement du Lyon-Turin se repose sur la base des mêmes controverses initiales : quel coût réel, pour quelle utilité économique ?

BTL : Quelle est l’estimation actuelle pour le coût total du projet ?
B. P. : Il est aujourd’hui de 30 Md€, avec les infrastructures en amont. Le chantier se découpe en trois parties : les accès français (150 km), les accès italiens (60 km) et le tunnel de base du Mont-Cenis (57,5 km), qui deviendra le plus long tunnel ferroviaire au monde (2). Selon mes informations, 2 Md€ ont été dépensés à ce jour. Il reste donc 28 Md€ à investir. On ne pourra pas tout faire ! Il faut se reposer la question de l’intérêt de ce projet, dont le premier coup de pelle a été donné en 2002.

BTL : Faut-il revoir l’approche de la ligne historique Dijon-Modane pour le transport de marchandises entre la France et l’Italie ?
B. P. : Depuis le début des années 2000, le nombre de trains de marchandises baisse sur la ligne historique Dijon-Modane. De 100 trains, nous sommes passés à 25 en moyenne aujourd’hui. Les investissements qu’elle requiert pour être modernisée sont sans commune mesure si l’on doit faire passer 60 à 80 trains par jour.

BTL : Pour autant, comment faire pour révolutionner la manière de transporter marchandises et passagers à travers les Alpes et éviter la pollution ?  
B. P. : D’après les chiffres de la Commission européenne, la part du fret ferroviaire entre la France et l’Italie a été divisée par trois entre 1999 et 2020, pour passer de 19,9 % à 7,4 %. Sur la même période, le volume de marchandises rail et route cumulés a stagné ; il était de 50 Mt en 1999 contre 45 Mt en 2021. Le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) a remis en 2018 à Élisabeth Borne, ministre des Transports à l’époque, un rapport très défavorable au Lyon-Turin qui préconise de repousser le volet français au-delà de 2045 pour privilégier la ligne historique Dijon-Modane. La Première ministre ne peut pas ne pas s’en souvenir. L’argent que la France demande à l’Union européenne pour cofinancer le projet ne sera pas investi ailleurs. La priorité, c’est la modernisation de nos infrastructures.

BTL : Les associations et les élus écologistes (3) sont hostiles au Lyon-Turin. Comprenez-vous cette opposition verte ?
B. P. : Le gouvernement a mis les nuisances et les atteintes à la biodiversité sous le tapis. Pourtant, pour les 150 km côté français, il faudra pourtant creuser 5 à 6 tunnels, forer 260 km de galeries à travers les massifs alpins. En face, l’organe de lobbying en faveur du Lyon-Turin, le Comité pour la Transalpine, est présidé par Jacques Gounon, P.-D.G. de GetLink.

BTL : Quelle serait donc la voie de la sagesse ?
B. P. : Il faudrait ajouter 100 Md€ à l’horizon 2030, c’est-à-dire 5 Md€ par an. Or, l’exécutif investit seulement un milliard par an dans les infrastructures ; le président de la SNCF souhaiterait que l’État ajoute 3 Md€ dans le rail chaque année. Je crains que l’on ne fasse ni l’un ni l’autre. Faute de moyens, nous risquons de ne pas régénérer nos infrastructures et de continuer de tergiverser sur ce projet. C’est à l’État d’organiser un débat pour évaluer les moyens de notre transport ferroviaire, avec un fléchage précis des crédits.

(1) Le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a réservé sa réponse, appelant en priorité à « enclencher des études sérieuses » qu’il s’engage à financer au tiers, pour lever le flou sur les budgets et le tracé définitif.
(2) La dernière évaluation du coût total du chantier effectuée en 2012 par la Cour des comptes le fixait à 26 Md€. Le temps de trajet entre les deux villes doit à terme passer à 1 heure 47 contre 3 heures 47 actuellement.
(3) De nombreux élus écologistes comme les maires de Lyon et de Grenoble ont proposé de moderniser la ligne historique, selon eux sous-exploitée et suffisante pour absorber le trafic de fret actuel.

Propos recueillis par Louis Guarino