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Privilège du transporteur lors d’une « faillite »

Affaires - Transport
08/02/2021
Le débiteur du coût du port, qui ne s’en acquitte pas parce qu’il rencontre des difficultés, n’est pas pour autant à l’abri de moyens garantissant au voiturier le recouvrement de sa créance. Outre l’action directe permise par l’article L. 132-8 du code de commerce, le privilège prévu par l’article L. 133-7 du même code offre une alternative au transporteur. Comment s’en prévaloir lorsque le débiteur est en cessation de paiement ?
 
Le débiteur du coût du port, qui ne s’en acquitte pas parce qu’il rencontre des difficultés, n’est pas pour autant à l’abri de moyens garantissant au voiturier le recouvrement de sa créance. Outre l’action directe permise par l’article L. 132-8 du code de commerce, le privilège prévu par l’article L. 133-7 du même code offre une alternative au transporteur. Comment s’en prévaloir lorsque le débiteur est en cessation de paiement ?

• Déterminer le débiteur du prix du port
Obtenir le paiement de la prestation de transport nécessite préalablement que son débiteur soit identifié. Si les dispositions de l’article L. 132-8 du code de commerce en désignent le garant (expéditeur, destinataire), les contrats types renseignent (article 19 du contrat type « général »), de manière implicite, qu’il s’agit :
- de l’expéditeur, lorsque le transport est en port payé,
- du destinataire, en cas d’expédition en port dû.
La jurisprudence complète en désignant le donneur d’ordre (l’expéditeur des contrats types, le commissionnaire de transport) quand les conditions de paiement ne sont pas fixées au départ. En transport international, le débiteur du prix peut être à la fois l’expéditeur et le destinataire de la marchandise acheminée.
Pour l’identifier, le voiturier doit démontrer, d’une part la qualité de débiteur du prix, et d’autre part que lui-même a bien réalisé la prestation de transport, au moyen par exemple du document de transport émargé. En effet, l’établissement d’une facture non suivie de contestations (réserves ou protestations) ne suffit pas toujours à justifier le lien contractuel entre le débiteur qui y est désigné et le transporteur (CA Paris, 3 févr. 1989, n° 87/15608, Sté Aliberti c/ Scac Fultrans ; Cass. 3e civ., 9 mars 1988, n° 86-17.599, Bull. civ. III, n° 53).

• Se prévaloir du privilège sur la valeur de la marchandise
Lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure collective, le transporteur peut se prévaloir de l’article L. 133-7 du code de commerce (le commissionnaire de transport bénéficie des dispositions de l’article L. 132-2 du même code) pour recouvrer sa créance. Cet article confère à la créance du transporteur un caractère privilégié, lui permettant de se faire payer en priorité par rapport à d’autres créanciers du débiteur, dont notamment ceux ayant un rang simplement chirographaire.
Pour profiter de ce privilège, cette créance (prix de transport, rémunération complémentaire au titre de prestations annexes et d’immobilisation du véhicule lors du chargement ou du déchargement, débours de douane, intérêts) doit être certaine, non prescrite et exigible (T. com. Calais, 1er avr. 2008, n°2008 00320) ; elle peut, en outre, concerner non seulement le transport en cause mais également des expéditions antérieures. Il doit néanmoins être rappelé l’obligation de déclarer sa créance dès lors que celle-ci est née antérieurement au jugement d’ouverture, même si elle n’est pas exigible.

• Rechercher le propriétaire de la marchandise
Le propriétaire de la marchandise retenue en raison de l’exercice de ce privilège doit être impliqué dans les expéditions litigieuses. Le voiturier doit donc s’assurer, d’une part, que le détenteur de la marchandise ici et maintenant entre ses mains en est bien le propriétaire et d’autre part que celui-ci est bien impliqué dans toutes les opérations dont il réclame le paiement (Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-16.053, Lamyline). Comment faire, sachant qu’il ne peut pas opposer – ni se voir opposer – le contrat de vente de la marchandise acheminée ? Par tout moyen, la preuve étant libre en matière commerciale (C. com., art. L. 110-3).

• Déclarer le privilège
Le transporteur doit, dans le délai de deux mois (C. com., art. R. 622-24) de la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective au Bodacc (Bulletin des annonces civiles et commerciales), déclarer sa créance auprès du représentant des créanciers, dénommé « mandataire judiciaire » en cas de redressement judiciaire et « liquidateur judiciaire » en cas de liquidation judiciaire. Cette déclaration n’est permise qu’à la condition que la marchandise demeure en rétention auprès du voiturier.

Attention : le mandataire du transporteur qui procède à la déclaration doit être habilité à cette fin par ce dernier, au risque de s’exposer à une irrégularité de ladite déclaration (Cass. com., 27 mars 2007, n° 06-10. 594, rendu en commission de transport, Lamyline). Une telle habilitation peut toutefois être produite au jour où le juge statue sur la contestation liée au défaut de pouvoir.

En tout état de cause, le créancier transporteur est tenu, non seulement d’effectuer une déclaration complète, conforme à ses droits et privilèges, mais également de préciser la nature desdits privilèges (C. com., art. L. 622-25). L’existence et la nature du privilège peuvent, le cas échéant, être mentionnées dans les pièces justificatives de la créance annexées à cette déclaration et dans le délai de deux mois précité. La qualité de transporteur – ou de commissionnaire de transport – n’établit pas à elle seule la nature du privilège et ne suffit pas à combler l’absence de déclaration du privilège dans le délai légal susvisé. À défaut de préciser la nature du privilège, la créance du transporteur peut être admise à titre simplement chirographaire et être payée après les créances prioritaires, le mode de répartition au marc l’euro étant par ailleurs moins favorable au créancier (CA Paris, 26 janv. 2021, n° 18/28069, SAS L’achemineur c/ Maître X…, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Christian Bernard, rendu pour un commissionnaire de transport et en douane, Lamyline).

Par Nanahira Razafimaharavo